
Quand un débiteur cède discrètement les actions qu’détient dans une société pour échapper à ses créanciers, à partir de quand ces derniers peuvent-ils agir ?
La Cour d’appel d’Aix-en-Provence vient de se prononcer sur cette question rarement abordée lorsqu’il s’agit de titres non cotés, apportant un prolongement intéressant à l’arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation du 12 novembre 2020 (n° 19-17.156), qui avait déjà marqué un tournant en matière de point de départ de la prescription de l’action paulienne.
🔎Les faits :
Condamné en qualité de caution, le DEBITEUR avait cédé en 2015 la totalité des actions de sa société à sa compagne à un prix dérisoire.
Huit ans plus tard, le CREANCIER découvre la cession à l’occasion d’une mesure d’exécution forcée (saisie de valeurs mobilières) et agit, en novembre 2023, pour en obtenir l’inopposabilité de l’acte de cession sur le fondement de l’article 1341-2 du Code civil.
Le DEBITEUR invoquait la prescription quinquennale, soutenant que le délai pour agir avait commencé à courir dès la cession intervenue le 27 juin 2015, date à laquelle les actions avaient été inscrites en compte conformément à l’article L.228-1 in fine du Code de commerce, la cession ayant en outre été enregistrée concomitamment auprès du service des impôts des entreprises.
📖 Le cadre juridique
Aux termes de l’article 2224du Code civil, l’action se prescrit par cinq ans « à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ».
Appliqué à l’action paulienne, ce texte conduit à rechercher le moment où le créancier a eu connaissance de l’acte frauduleux ou aurait dû l’avoir, compte tenu de sa publication éventuelle.
💡La solution
La Cour d’appel d’Aix-en-Provence confirme la solution retenue en première instance :
· la cession d’actions n’a fait l’objet d’aucune publicité au registre du commerce,
· l’inscription en compte des actions au nom de l’acquéreur, prévue par l’article L.228-1, in fine, du Code de commerce, ne vaut pas publicité opposable aux tiers,
· l’enregistrement fiscal de l’acte ne constitue pas davantage une mesure de publicité légale,
· aucune pièce ne démontre que le créancier ait eu connaissance de la cession avant la tentative de saisie des actions en 2021.
Le délai de cinq ans a donc commencé à courir lorsque le créancier a effectivement découvert la cession, soit en 2021, et l’action engagée en 2023 était parfaitement recevable.
✅ Un raisonnement conforme à la jurisprudence de la Cour de cassation
Cette approche s’inscrit dans la droite ligne de l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 12 novembre 2020(n° 19-17.156).
La Cour d’appel d’Aix étend ainsi, dans le contexte des actions de SAS, la logique du droit commun selon laquelle la prescription ne court qu’à compter de la connaissance effective de la fraude.
📌À retenir
🔹 La prescription quinquennale de l’action paulienne court à compter du jour où le créancier a connu ou aurait dû connaître la fraude.
🔹L’absence de publicité d’une cession d’actions de SAS empêche de fixer ce point de départ à la date de la cession.
🔹Une solution pragmatique, fidèle à la logique de la Cour de cassation, qui protège les créanciers contre les manœuvres dissimulées.
Edith SAINT-CÈNE
Le 10 octobre 2025